Discours de la conseillère d’Etat de Vaud Cesla Amarelle
Discours de la conseillère d’Etat de Vaud Cesla Amarelle
4èmes Journées des Justes
Musée Olympique
/ Le seul discours prononcé fait foi /
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les membres de la Licra
Monsieur le syndic,
Mesdames et Messieurs en vos titres et fonctions,
Chères invitées, chers invités,
Elle s’appelait Anne-Marie Piguet. Elle avait entre 26 et 28 ans au moment des faits. De 1942 à 1944, Anne-Marie Piguet emprunte les chemins de traverses… les sentiers discrets et escarpés du Gy de l’Echelle, dans le Jura afin de faire passer une douzaine d’enfants juifs de France en Suisse.
Depuis 1992, Anne-Marie Piguet est une Juste parmi les Nations. Comme beaucoup d’autres, elle est restée longtemps … trop longtemps… discrète… « discrétion protestante » … avance l’historien Marc Perrenoud. Il faudra attendre les années 1980 Pour qu’elle commence à témoigner de son action pendant la Seconde Guerre mondiale dans un livre… puis derrière un écran, filmée par Jacqueline Veuve notamment.
Son amie, l’historienne Lucienne Hubler dit d’elle qu’elle n’aimait pas trop s’épancher sur elle-même et … je cite « qu’elle faisait les choses parce qu’il fallait les faire ».
Qu’est-ce qui motive cette fille d’inspecteur forestier qui a vécu sa jeunesse au Sentier et qui vient d’obtenir sa licence en Lettre à l’Université de Lausanne ? Comment s’opère le passage à l’acte ? Comment arrive la décision d’agir ?
Car c’est bien de l’action qu’il s’agit. Les Justes parmi les Nations sont des personnes qui ont agi… qui ont engagé leur corps dans la défense des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. L’ancienne Conseillère fédérale Ruth Dreifuss a ces mots simples et limpides : « Ce sont des individus qui ont agi en tant qu'individus. Ils nous disent au travers de leurs actes : suivez votre conscience, secourez les gens que vous pouvez sauver et, s'il le faut, en bravant les lois qui iraient à l'encontre de ce devoir d'humanité. »
Pour motiver ce passage à l’acte, cet engagement du corps… il y a bien sûr des éléments de contexte : il faut être la bonne personne avec les bonnes compétences et le bon réseau au bon endroit. C’est le Consul qui distribue des visas, l’officier des douanes qui relève la barrière, la personne du coin qui connait les sentiers et les habitudes des gardes-frontières…
Mais le contexte ne fait de loin pas tout… bien au contraire… Il faut aussi et surtout être équipé d’une boussole morale. Cette boussole, je pense qu’on peut l’apprendre. Je pense qu’on peut la transmettre. Elle se transmet au sein de la famille, de proches en proches… Mais cette boussole elle peut être enseignée…
A ce sujet vous ne m’en voudrez pas de prêcher pour ce qui est ma paroisse encore quelques jours : … je suis persuadée que l’Ecole a un rôle à jouer en la matière… L’éducation est certainement un puissant levier afin de doter la jeunesse d’une boussole morale !
Oui les heures les plus sombres de notre histoire s’enseignent. En les appréhendant au mieux, en faisant la lumière sur ce qui s’est passé… sur ce qui se passe… on ne s’assure pas seulement de l’établissement des faits comme s’il s’agissait de quelques dates de plus à mémoriser… en transmettant cette histoire on ne procède pas seulement à une transmission de la connaissance… on inculque aussi des valeurs morales universelles … notre devoir d’humanité - pour reprendre l’expression chère à Ruth Dreifuss - s’enseigne …
Il y a encore un autre ingrédient qui me semble vital pour comprendre le passage à l’acte des Justes… leur entrée en résistance… … Pour se lancer à l’eau, Passer le Rubicon… faire le pas... Il faut du courage. Et le Courage… Ça ne s’enseigne pas ! Le Courage c’est à tout un chacun de le trouver dans les replis de son âme… dans les tréfonds de son corps !
Des compétences, une boussole morale, et une bonne dose de courage… Voilà à mon sens ce que partagent les Justes… Voilà, à mon sens, ce que partagent toutes les personnes qui …à un moment donné de l’histoire… ont rempli leur devoir d’humanité, parfois au péril de leur vie… Voilà ce que partagent les personnes qui se sont engagées à accueillir et protéger d’autres personnes fuyant la guerre, la persécution… les massacres.
« Les massacres ne surviennent jamais promptement… ils murissent lentement… »
Ces propos ne sont pas ceux d’un spécialiste de la Shoah … j’emprunte cette citation à Jérémie Foa, un historien de la renaissance qui a publié « Tous ceux qui tombent. Les visages du massacre de la Saint-Barthélémy ». Un ouvrage au ras du pavé au sens propre comme au sens figuré… un ouvrage qui fait le portrait des victimes, des bourreaux… mais aussi des personnes qui ont décidé de résister. De sauver des protestants du massacre de masse en train de survenir… Que partagent ces héros qui ont exercé le devoir d’humanité en 1572 avec les Justes qui ont sauvé des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale ? Que partagent les victimes ? Que partagent les bourreaux ?
Oui… quand on étudie la Shoah il ne faut pas avoir peur de faire un peu de comparatisme… L’exercice comparatif en histoire relève d’une herméneutique salutaire. Il ne s’agit bien-sûr pas de tout faire correspondre… de tout réduire au même. Surtout pas !!
Non il s’agit plutôt d’éclairer certains pans de notre histoire avec d’autres moments. De voir ce qui coïncide. De voir aussi ce qui diffère, ce qui fait la singularité des objets ainsi étudiés.
Dans quelques instants nous allons suivre la première table ronde de cette journée qui porte justement sur cet exercice comparatif… une table ronde intitulée « de la fuite des huguenots à celle des juifs »…
C’est à travers ce genre d’exercice aussi… à travers l’élaboration d’une intelligence collective… à travers la discussion, l’échange et le débat… c’est à travers ce genre d’évènement que nous aiguisons nos compétences, réglons notre boussole morale et trouvons les tripes et le courage d’exercer notre devoir d’humanité !
Merci de votre attention !
Où?
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